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Les acteurs de la justice pénale sous la Shoah

« Leçons de leadership : comment la justice pénale aborde la prévention des atrocités de masse »

Durée: 9 minutesCette vidéo examine les choix et les motivations des différents professionnels de la justice pénale, notamment les juges, les procureurs et les agents de la force publique, pendant l’Holocauste, ainsi que les conséquences de leurs actions sur les juifs vivant en Allemagne entre 1933 et 1945.

Cette vidéo est disponible en anglais avec des sous-titres en français.

Transcript

- [Regina Spiegel] Après la libération, un Russe, qui s’avérera être un colonel dans l’armée, s’adressa à moi. Savez-vous ce qu’il me dit ? « Nous vous donnerons des armes, vous pouvez abattre les Allemands qui croisent votre chemin. » Nous nous sommes dit, mais qu’est-ce qu’il raconte ? Ce que les Allemands nous faisaient ne me plaisait pas du tout, pourquoi aurais-je dû faire la même chose ? La justice ? Oui. La vengeance, non.

- [Narrateur] Au lendemain de la Shoah et de ses atrocités de masse, le monde a réfléchi à la manière de rendre justice aux victimes. Les puissances alliées de la Seconde Guerre mondiale trouvent une réponse exemplaire sous la forme des procès de Nuremberg. Aujourd’hui, c’est devant la Cour pénale internationale, établie par le Statut de Rome en 1998, que sont jugés les auteurs de crimes, ou, au niveau national, par des tribunaux hybrides ou nationaux. Malgré ces efforts, les auteurs de crimes ne sont jugés que rarement devant un tribunal. La justice transitionnelle se traduit par un éventail d’outils, de mécanismes et d’approches auxquels peuvent recourir les sociétés qui viennent de vivre des périodes de violences et de conflits à grande échelle et qui tentent de se relever et de soigner les plaies du passé.

- [Yasmine Chubin] Les définitions de la justice transitionnelle sont multiples. D’une manière générale, il s’agit de mettre en place des processus ou des mécanismes dans une société qui a subi des atrocités de masse. Comment faire face à des atrocités de masse qui viennent de se produire dans un pays donné ?

- [Yasmin Ullah] Nous vivons dans un monde constamment gangréné par l’autoritarisme et par ceux qui le rendent possible. Mais en matière de justice transitionnelle, ce sont les victimes qui doivent être placées au cœur du système. On doit pouvoir leur demander : « À votre avis, que vous faut-il pour guérir ? »

- [Ambassadeur Stephen Rapp] Fondamentalement, la justice transitionnelle se définit par quatre objectifs : la recherche de la vérité ; la poursuite en justice des premiers responsables ; la réparation pour les victimes et pour les groupes touchés par ces crimes ; et les différentes mesures visant à prévenir une résurgence de ces atrocités.

- [Yasmine Chubin] Il me semble qu’après un épisode d’atrocités de masse dans un pays, la quête de justice et d’apaisement ne peut se faire sans rétablir la vérité. Il s’agit simplement de garder une trace des événements pour que les victimes se sentent prises en compte.

- [Yasmin Ullah] Nous nous sommes rendu compte que la seule manière de donner aux victimes un sentiment de justice est de reconnaître qu’un génocide a eu lieu ou de reconnaître les pertes infligées à une population donnée.

- [Ambassadeur Stephen Rapp] Je crois fermement que les gens ont besoin de justice et d’un processus par lequel la responsabilité des criminels est établie. Sans cela, ces criminels tablent sur une impunité. Prenons par exemple l’exemple du Liberia et des crimes commis par Charles Taylor en Sierra Leone. Allez au Liberia, on vous dira « Et les crimes commis là-bas ? » Il s’avère particulièrement difficile de rétablir la justice, parce qu’après le processus de paix, de nombreux perpétrateurs sont revenus au pouvoir.

- [Yasmine Chubin] En 1994, un génocide a lieu au Rwanda. Les débats qui s’ensuivent concernent les crimes commis pendant ce génocide. Au début, des tribunaux gacaca sont mis en place, des tribunaux populaires. Puis, le Conseil de sécurité de l’ONU instaure le Tribunal pénal international pour le Rwanda, où sont poursuivis les plus hauts responsables des crimes commis pendant le génocide.

- [Ambassadeur Stephen Rapp] Je suis très fier de ce qu’a pu accomplir le tribunal pour le Rwanda : l’établissement des responsabilités pour les leaders hauts placés qui ont pris part au génocide, l’établissement de la vérité sur les 800 000 hommes, femmes et enfants assassinés, comme cela a été révélé. Sans oublier l’établissement de la responsabilité des leaders dans les assassinats qui ont été commis, notamment ceux du Premier ministre, du premier chef de l’armée, de dirigeants, des médias, de membres du clergé et bien d’autres. Je pense que l’impact est considérable dans toute la région. Lorsque des poursuites judiciaires sont engagées, il est important que justice soit faite, et de manière visible pour les populations touchées, puisque c’est ce processus qu’elles réclamaient. Les populations touchées doivent être impliquées dans le processus d’établissement de la justice et ce dernier doit tenir compte de leurs valeurs et de leurs attentes.

- [Yasmine Chubin] Les difficultés que présentent les mécanismes et tribunaux internationaux mis en place résident dans le fait qu’ils sont géographiquement éloignés du lieu où les crimes ont été commis. On est donc confronté à des obstacles physiques, en plus des obstacles culturels et linguistiques. À mon avis, il faut s’efforcer de penser la justice transitionnelle comme une justice locale ou régionale. Bien sûr, il ne faut pas non plus oublier que pendant ou après un épisode d’atrocités de masse, cela n’est pas toujours possible.

- [Ambassadeur Stephen Rapp] Par ailleurs, quand on parle de recours aux réparations, il faut tenir compte de tous les groupes impactés. Mais lorsque tous nos biens ont été détruits, tout ce qu’on a construit a disparu, lorsque notre soutien de famille n’est plus là, on cherche à être dédommagé pour cette amputation. Malheureusement, dans ces cas-là, on ne peut pas toujours être dédommagé comme il se doit, mais il faut faire un pas dans la bonne direction. Parfois, le dédommagement ne relèvera que du symbolique.

- [Yasmin Ullah] Pour les forces de l’ordre, pour ceux et celles qui prennent les décisions à un très haut niveau, il est important de comprendre que le moindre geste a un impact pour les communautés touchées, même si cet impact n’est pas immédiatement visible. Il peut se faire sentir des années et des années plus tard. Je pense que la justice transitionnelle est capitale : sans un mécanisme judiciaire international qui pèse de tout son poids sur les pays qui doivent établir les responsabilités, il nous reste peu d’espoir de pouvoir échapper au cercle vicieux des atrocités.

- [Yasmine Chubin] Pour moi, il est crucial que les acteurs du système pénal judiciaire soient impliqués dans les efforts de responsabilisation, tant pendant qu’après un épisode d’atrocités de masse. La justice doit faire tout son possible pour mettre fin aux événements. En aval des atrocités, ces acteurs sont les mieux équipés pour entreprendre un processus de rétablissement de la vérité. Par ailleurs, il est important de se rappeler que ce sont ces mécanismes qui représentent le meilleur moyen de réformer le système, la législation et le secteur judiciaire, et ce, afin de pouvoir éviter une résurgence des atrocités dans le futur.

- [Narrateur] La recherche a montré que les violences restées impunies représentent un signe d’alerte lié à la résurgence d’atrocités de masse. Les efforts de justice et d’établissement des responsabilités peuvent jouer un rôle critique dans le cadre de la prévention.

Cette page est également disponible en anglais.